Qui propose des solutions en Haïti? Quel est l’agenda de nos dirigeants? Qui peut influencer cet agenda et comment? Quelles sont les priorités de politiques publiques en Haïti? Toute tentative de répondre à ces questions laisse inévitablement entrevoir un vide en termes d’institutions ayant force de proposition et aussi, un manque en termes d’implication des acteurs de la société civile dans la conception de politiques publiques. Si on fait une cartographie des acteurs de la société civile et des acteurs politiques, on constatera le manque criant d’institutions de la société civile spécialisées dans les politiques publiques, des think-tanks, en Haïti.
Or pour adresser nos problèmes, des espaces de recherche, d’analyse, de débat et de promotion d’idées innovantes sont indispensables. Les think-tanks, pour mettre un nom sur le type de structure décrite ci-dessous, auront un rôle prépondérant à jouer dans le futur développement du pays. C’est fort de ce constat qu’un think tank comme Policité a été créé, pour contribuer à alimenter le débat sur les politiques publiques de développement en Haïti. Mais la question suivante revient souvent quand on introduit Policité: «Un think-tank, pourquoi faire?»
Qu’est -ce qu’un think tank?
Avant de parler de l’utilité d’un think-tank, autant voir ce que c’est. Aux États-Unis et dans d’autres pays du monde, y compris en Amérique Latine, ce type d’institution est assez commun. Il en existe pas moins de 1871 aux États-Unis uniquement.
Les think-tanks sont apparus vers la fin des années 1970 en France et quelques décennies plus tôt aux Etats-Unis. En Angleterre le think-tank The Fabian Society existe depuis 1884 quoiqu’à ses débuts l’institution ne répondait pas entièrement à la définition actuelle d’un think-tank. Le premier et le plus influent des think-tanks américains, The Brookings Institution, a été fondé vers les années 1916.
Les think-tanks ne sont pas aussi nombreux en Haïti. Il en existerait 3 selon le rapport sur les thinktank susmentionnés. Par définition, un think-tank, anglicisme qui se traduit en «laboratoire d’idées » en français est une institution ayant pour mission entre autres, de mettre en réseau des personnes, favoriser l’échange d’idées, analyser des questions d’intérêt public, informer et influencer les politiques publiques.
Un think-thank fait de la recherche, du plaidoyer de la politique et certaines fois un peu d’événementiel sans qu’à aucun moment la recherche ne cesse d’être le socle de son activité. Un think-tank n’étant pas un centre de recherche, cette activité ne saurait suffir pour faire d’une institution un think-tank non plus. Cette panoplie d’activités: la recherche, la publication, le plaidoyer, le débat, etc, contribue à façonner un espace où se croisent les idées et l’action. Un think tank peut être rattaché à un parti politique, une entreprise, une université, un groupe d’intérêt ou exister sous la forme d’une institution publique ou privée. Le programme think-tank et société civile de l’université de Pennsylvanie (Think tank and Civil Society) publie un rapport annuel sur les think-tanks et collecte des données sur plus de 8 000 think-tanks dont 1420 en Amérique Latine.
Un think-tank, pour quoi faire?
Pour revenir à la question, explorons quelques contributions que peut apporter un think tank en Haïti. Les apports peuvent être nombreux. Par souci de synthèse, trois contributions sont présentées ci-après.
Il nous faut des idées innovantes pour développer Haïti
Développer un pays n’est pas une gageure sinon des manuels « Développer un pays pour les nuls» seraient entre les mains de tous les dirigeants des pays en voie de développement. Développer un pays n’est malgré tout pas impossible. Les dragons de l’Asie du sud-est tels que Taiwan, Singapoure, Corée du Sud et Malaisie, et d’autres pays en sont la preuve.
Il existe un consensus sur les principales conditions favorables au développement tout comme les causes du sous-développement. Il faut d’abord penser le développement, le planifier pour ensuite le réaliser. Or en Haïti, très peu d’experts, très peu d’institutions peuvent se permettre le luxe de penser et de produire la connaissance nécessaire pour appréhender notre réalité, l’expliquer, la déconstruire pour la construire. En plus des centres de recherches, les think-tanks seraient l’espace idéal pour cet exercice.
Il nous faut un agenda sérieux
S’il ne fait nul doute que la nature et le nombre de problèmes auxquels est confronté Haïti constituent une urgence, il n’en reste pas moins que la réponse appropriée ainsi que les initiatives diverses qui doivent donner forme à cette réponse tardent à se concrétiser. De plus, le sous-développement impose une dictature de l’urgence sous fond de permanence de la crise socio-politique.
Tout est urgent et tout est en crise. Par exemple, la réforme de l’éducation est urgente et le système éducatif est en crise. Ce schéma peut s’appliquer à presque tous les secteurs de la vie nationale. L’urgence est aussi dictée par l’appropriation ponctuelle par des groupes d’intérêt des problèmes sociaux ou d’incidents pouvant affecter les conditions de vie de la population comme la hausse du prix du carburant dans le dessein d’influencer l’agenda des décideurs. Nous privilégions ainsi des mesures cosmétiques aux réformes en profondeur capables de changer le statu quo. Un think-tank peut à travers des études identifier et analyser les priorités, influencer l’agenda des dirigeants dans le sens des intérêts de la nation tel que prouvé par ses travaux.
Il faut documenter l’action publique
De nombreux pays ont des départements de recherche dans les institutions publiques. L’État crée des think-tanks, comme France Stratégie en France, qui doivent concevoir les politiques publiques de l’avenir entre autres. Le nombre d’institutions de ce genre aux États-Unis est très élevé et couvre toutes les thématiques. La scène politique haïtienne n’en compte que très peu. Le pays gagnerait d’une large gamme d’études et d’analyses sur des thématiques diverses.
On reproche bien des choses aux think-tanks : leur manque d’indépendance, de rigueur ou d’objectivité parfois, mais on ne remet presque jamais en question leur bien-fondé ou leur raison d’être. Les idées comptent. Les solutions de politique publique de développement méritent qu’on s’y attarde, qu’on les adapte et qu’on les évaluent. Les citoyens méritent d’être impliqués et informés. En ce sens, un think-tank est d’une grande utilité pour penser et concrétiser le développement en Haïti.